Je viens de découvrir le blog de Nadia Khouri-Dagher, par hasard, alors que je cherchais un lien vers le passé en tapant LA LITOTE sur Google. Je m'étais souvent demandé pourquoi j'avais choisi ce titre pour le magazine que j'avais créé à San Francisco (en dehors du fait que je trouvais ça joli et que ça correspondait parfaitement -"dire moins pour faire entendre plus"-, je le sentais, à ce que je voulais faire, voilà), et voilà que cette inconnue d'un coup m'en dévoilait les raisons:
"J'ai longtemps cru, moi aussi, que les Français étaient froids. Autrement dit, qu'ils avaient moins de sentiments que nous: moins chaleureux, moins généreux, moins hospitaliers. Car tout cela n'apparaissait pas dans les mots qu'ils emploient. Aujourd'hui je sais que le langage exprime une culture, et que la litote est l'expression d'une pudeur, plus que d'une froideur. Pudeur toute nord-européenne - les Anglais champions reconnus de la litote, qu'ils nomment understatement.
J'ai mis longtemps à comprendre que ce qu'exprime la litote, ce n'est pas une absence, mais une retenue dans l'expression des sentiments. Car avec le langage on ne dit jamais seulement ce qu'on pense, mais aussi ce qu'on ressent, et c'est ce ressenti que la langue française courante, quotidienne, se refuse le plus souvent d'exprimer. J'ai mis longtemps à comprendre que les Français n'en pensaient pas moins, si je me mets à parler comme eux, comme vous, c'est-à-dire: en pensaient tout autant, voire plus. Mais ne l'exprimaient pas toujours aussi explicitement, comme nous, gens du Sud."
khouridagher.afrikblog.com
Hmmm, ce choix donc n'était dicté que par ma culture, une culture qui m'avait rattrapée loin de chez moi, inconsciemment...pour rétablir le lien avec mes compatriotes?
On n'échappe donc pas à sa culture? Est-ce suffisant pour rejeter la culture de l'autre?
Je n'ai pas peur des différences, au contraire, c'est souvent au travers de la surprise des oppositions apparentes que je fais les plus belles rencontres, celles qui auront nécessité l'Apprentissage dont parle Nadia.
Plongée dans un monde étranger, il a fallu que j'en apprenne la langue et les codes, et pour vivre tranquille que je me fixe à quelques points communs qui font notre humanité.
Tout ça fonctionne très bien tant qu'on n'est pas trop fatigué, tant qu'on reste curieux de l'autre, tant qu'on a envie etc.
Le jour où on est fatigué, on appelle maman, on est content de parler cette langue maternelle donc, on repense aux bons plats, aux pavés, et finalement à tout ce qui fait qu'on est bien mieux chez soi quand même!
C'est un peu la même chose entre les hommes et les femmes finalement.
Avec la curiosité, puis l'envie, on s'attire, on s'aime quand on pense s'être trouvés, reconnus, que l'autre à vu en nous ce qu'on est vraiment , qu'on est tout pareil, qu'on est souvent persuadés de parler la même langue, etc. Et paf, quand on est fatigué, l'autre est différent tout à coup, là aussi on a envie d'appeler maman parce qu'on a peur.
Je suis autant choquée par l'anti-américanisme que le racisme anti-arabes ou l'antisémitisme ou le jeunisme ou le féminisme, ou tous les ismes de la terre. L'isme n'est souvent là que pour nous aider à traiter l'autre d'imbécile et à rentrer tranquillement à la maison où on pourra rester bien au chaud...croit-on.
Mais on n'est pas si peinard que ça chez soi, entre nous pareils, en famille, au boulot, au pays, entre filles, hein? manque toujours un truc non?
Alors j'aime beaucoup le blog de Nadia Khouri Dagher, qui me donne envie de mieux la connaître elle et sa culture (née en Egype d'une famille libanaise), et j'aime particulièrement les idées pré conçues qu'elle dénonce, comme celle-ci sur les femmes, et ce sera le mot de la fin pour aujourd'hui:
"Bref, si la situation faite aux femmes est censée résumer le fonctionnement d'une société, tout ceci prouve que le prétendu clash des civilisations entre Orient et Occident est un vue de l'esprit. C'est pourtant ce prétendu fossé entre "eux" et "nous", entre islam et chrétienté, qui conduit aujourd'hui aux conflits les plus sanglants. Car ici on dit: l'islam nous menace, nous devons nous protéger, et nous l'attaquons en mots, articles, livres – voire bombes, comme les USA en Irak. Et là-bas on dit: l'Occident nous menace, nous devons nous protéger, et nous l'attaquons en mots, articles, livres – voire bombes, comme les attentats terroristes de New York ou Londres.
Mais nous, femmes d'Orient et d'Occident, qui lisons aujourd'hui, nous documentons, avons Internet, organisant les premières Conférences de femmes de l'histoire de l'humanité, réunissant des femmes venues du monde entier à Mexico Nairobi et Pékin, savons que notre condition de femmes est parfois étonnamment similaire, d'Est en Ouest et du Nord au Sud de la planète terre. Et que partout, plus ou moins vite, plus ou moins lentement, nos vies sont en train de changer, parce que nous prenons notre destin en mains."
L'Apprentissage, Itinéraire d'une migrante d'Orient en Occident, de Nadia Khouri-Dagher. A paraître,
mars 2007.
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