Haruki Murakami est un auteur japonais merveilleux: il vous prend doucement la main pour vous amener dans les profondeurs de l'inconscient, il ne vous lâche jamais la main et c'est en confiance qu'on avance vers ce que l'on pensait noir, et qui devient lumière grâce à cette âme qu'il sait dire simplement.
Je lis en ce moment "Danse, Danse, Danse" qu'il a écrit en 88, et qui n'a été traduit en france qu'en 96.
Le passage suivant parle des télécommunications:
"Je pensai au principe des télécommunications. Toutes les lignes sont reliées. Une ligne part de cette pièce même et va partout dans le monde. En principe je peux être relié à n'importe qui de mon choix. Je peux téléphoner à Anchorage si je veux, ou à l'hôtel du Dauphin, ou à mon ex-femme. Il y a des possibilités innombrables, dont le noeud central est mon poste téléphonique. C'est un ordinateur qui gère ce noeud. Les noeuds varient en fonction de chiffres déterminés, et la communication s'établit. Nous sommes reliés par des cordons, des câbles souterrains, des tunnels sous la mer, des satellites de télécommunications, le tout sous contrôle d'énormes ordinateurs.
Mais si parfaite et si raffinée que soit la technique, sans la volonté de communiquer, tout cela ne nous relie nullement. Et en sens inverse, même avec la volonté de communiquer, si on ne possède pas le numéro de téléphone de l'interlocuteur potentiel...., on n'a aucun moyen de communiquer. En outre, même si on s'est informé de ce numéro, il arrive qu'on oublie de le noter ou qu'on le perde. Et même en connaissant le numéro, on peut se tromper en le composant. Dans ce cas-là on n'est plus relié à rien.
La race humaine est vraiment extrêmement imparfaite et irréfléchie. Et je peux en rajouter: par exemple même si je remplis toutes les conditions nécessaires et que je téléphone (...) elle peut toujours me répondre: "je n'ai pas envie de te parler maintenant, salut" et crac, me raccrocher au nez. Dans ce cas-là aucune conversation ne peut s'établir. Il s'agit seulement d'une manifestation d'intérêt à sens unique.
Le téléphone a l'air énervé par cet ensemble de circonstances.
La machine téléphonique (je pourrais dire "téléphone" comme tout le monde, mais je choisis arbitrairement d'y voir une entité féminine) est énervée de ne pouvoir exister en tant que concept pur. Ca la met en colère de voir que la communication est basée sur quelquechose d'aussi imparfait et d'incertain. C'est trop imparfait, trop hasardeux, trop passif pour elle.
....
Mais ce n'est pas de ma faute. Elle peut aller où elle veut, ce sera pareil. Mais peut-être cette machine est-elle encore plus énervée du fait d'être placée chez moi. En ce sens je me sens légèrement responsable. Il me semble qu'inconsciemment je stimule la passivité, le hasard et l'imperfection.
A ce moment-là, je pensai soudain à mon ex-femme. la machin me regardait en silence avec reproche. Comme ma femme. Je l'aimais, ma femme. Nous avions eu des moments de bonheur ensemble. Nous avions plaisanté ensemble, nous avions fait l'amour des centaines de fois. Nous avions aussi beaucoup voyagé. Mais de temps en temps elle me regardait avec ce même air de reproche. Au beau milieu de la nuit, tranquillement, fixement. Elle me reprochait mon imperfection, ma passivité, mon fatalisme. Ca l'énervait. Ca marchait bien entre nous pourtant, mais entre ce dont elle avait besoin, ce qui était dessiné d'avance dans sa tête, et moi, il y avait une énorme différence. Elle réclamait une vraie communication. des scènes où la Communication brandissant un drapeau immaculé conduisait le peuple vers une étincelante révolution sans effusion de sang. des circonstances où la perfection venait à bout de toutes les imperfections. C'était ça pour elle, l'amour. pas pour moi, bien entendu.
Pour moi, l'amour, c'était un pur concept doté d'un physique mal adapté, quelquechose de terriblement imparfait qui arrivait à grand-peine à se connecter, en rampant péniblement à travers des câbles souterrains ou de slignes téléphoniques. De temps en temps les lignes s'emmêlaient, on ne savait plus le numéro. Ou alors on faisait une erreur de correspondant. Ce n'était pas de ma faute. Dasn la mesure où notre existence était assujettie à ce corps physique, ce serait éternellement comme ça. C'était comme ça, fondamentalement. C'est ce que j'avais essayé d'expliquer à ma femme à plusieurs reprises. Mais un jour elle était partie. peut-être l'avais-je incitée à partir, à force d'attiser les imperfections." HARUKI MURAKAMI, Danse, Danse, Danse.
Quelques mots retenus et des réfléxions qui me sont venues:
-La communication comme l'être humain est imparfaite.
-Il n'y a pas que les femmes pour souhaiter une communication parfaite, les hommes là aussi ont d'autres mots pour le dire, et nous préfèrent "jolies" paraît-il.
-Sans volonté de communiquer il n'y a pas de relation.
-Sans possibilité de connection, il n'y pas plus de relation.
-Il n'y a pas de révolution en vue, pas plus hier (en 2005?) qu'aujourd'hui, tant qu'on ne parle pas de relation humaine.
-On ne peut en parler, à moins d'en sortir.
-Comme en amour, il n'y a qu'à le vivre.
-Vivre c'est être là.
-Hier soir, une magicienne m'a donné une clé: être parfaitement imparfaite!
Vous êtes comment parfaitement imparfaits, vous?
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