Je me suis tue. Trop longtemps. A en étouffer. A me tordre dans tous les sens sans espoir de retrouver le chemin.
Par vanité qui méritait d'être punie?
Ha comme je regrette parfois d'avoir été élevée coupable,...satanée culpabilité, elle m'a toujours agrippé le pied dès que je souhaitais grimper, enfin surtout en pleine grimpe. Et pourtant je suis une sacrée grimpeuse, je le sais ça, je peux faire beaucoup, tout ce que je veux parfois j'ai l'impression, j'ai une énergie dans le ventre et les neurones qui me poussent à la prouesse pas pour ça mais pour savoir et aimer, à fond la caisse.
J'hésite à parler de lui puisqu'il n'a aucun intérêt et puiqu'on est d'accord, ce qui blesse c'est avant tout ce qu'on recèle d'ignominie coupable dans les entrailles.
Ce type (il mérite quand même la grande tarte que vous voudrez bien lui mettre sur la figure, s'il vous plaît), il avait voulu me toucher un jour, il avait fait ses avances spirituelles, spirituelles c'est ce qu'il croyait, il était encore surpris que ça n'ait pas marché, que je n'aie pas répondu à cette avance en pirouette, son cloche pied emmêlé supposé m'envoûter (ah mais là il dirait que ça ne veut rien dire, qu'un cloche pied ne peut être emmêlé etc. ...lisez son mail vengeur ci-dessous, vous allez franchement rire!!! il m'a fait rire assez vite aussi, après quelques heures, maudites heures, je regrette juste d'avoir accepté d'être transpercée par la lame de son petit doigt d'homme vil, ce petit doigt qu'a tapé son petit mail, sur sa petite machine, après un verre de calva de trop? ou bien était-il juste sobre cette fois-ci, pour une fois?), son cerveau à lui se rêvait si grandiose qu'il était sans arrêt surpris de se prendre le trottoir, à sa hauteur, lorsqu'il en dégringolait après sa cuite hebdomadaire de fin de semaine, après son dur labeur de commercial...Ahhh il travaille pour XXX (un grand quotidien), quel beau journal, ahhhhh voici donc sa chance de peut-être écrire un jour, ah oui j'ai oublié de vous dire, il veut écrire, lui aussi, encore un, un roman, bah tiens, et puis quoi encore? (c'est lui qui est capable de dire: "pour qui se prend-il/elle, écrire un roman!!!" mais qu'est ce que ça a de si extraordinaire de vouloir raconter une histoire absolument? de dire avant que ça ne vous étouffe? ce n'est permis qu'à certaines personnes? et comme en amour, il y a des règles à suivre? tenter de se faire entendre c'est déjà suivre une règle bien exigeante, le savez-vous petit monsieur?), ah mais c'est que lui il veut écrire pour ne jamais être oublié, pour marquer son temps, une rupture, inventer ce que l'humanité n'aurait jamais osé avant lui, sans lui, tenter l'inatteignable, car au fond de lui , il pense bien qu'il en serait capable, mais quand même il en a un peu honte, alors non décidément il ne le fait pas, il ne peut pas faire ça... comment ça il en a honte? mais je m'égare complètement là, cet homme n'est pas doué en sentiments, non, il n'a pas honte, il est juste trop fatigué, déprimé, pas aidé, il a pas eu de chance, et le monde est trop injuste, hein??? c'est ça qui vous empêche petit monsieur d'y aller, allez, avouez que le monde a été tellement méchant avec vous!!!!
Avouez que vous aimeriez dans votre esprit d'enfant que le monde ait été différent, grâce à vous, euh non, pour vous, qu'il vous attende ce monde qui ne s'est pas mis à votre heure, qui est trop décalé déjà...puisqu'il vous a toujours rejeté derrière des bureaux métalliques.
Je vous déteste petit monsieur d'avoir osé tenter de me toucher ce soir là avec votre ignominieux mail, avec votre seul doigt autorisé, ce doigt qui m'a fait l'effet d'un coup de poignard dans le ventre, qui m'a laissée tremblante de fièvre pendant toute une nuit, ce doigt qui m'a fait pleurer des jours entiers, je vous déteste d'oser ces gestes là, je ne vous permets pas, pas vous!!! Le reste est mon histoire bien sûr, mais votre geste petit monsieur, c'est le crachat que je vous ai finalement autorisé sur mon essai, oui cet essai qui m'était permis, celui de m'exprimer!
Et vous m'avez fait vaciller sous ce doigt, non c'était pas par plaisir, comment une femme pourrait-elle avoir le plaisir (attention je parle de pureté ici, un mot que vous ne sauriez utiliser) que vous ne cherchez que pour vous mêmes. Pauvre petit monsieur, je vous déteste du plus profond de mes entrailles. Rejet absolu.
Mes doigts sont lourds et vengeurs sur ce clavier, le voyez-vous, sentez-vous les claques qu'il veulent vous assèner, sentez-vous la douleur qu'ils veulent dire? Et pourtant je sais déjà qu'ils ne vous atteindront pas, vous ne lierez pas.
Pourquoi polluer ce blog avec vos écrits? Pour moi, dire enfin que vous avez déclenché ça chez moi, dire que c'est dangereux des types comme vous. Pour d'autres petits messieurs, qui se saoulent souvent comme vous, pour oublier ce vide, ce trou béant dans lequel vous tentez de mettre du sentiment, mais bon, ça se fabrique pas ces choses là, c'est comme le souffle dans un roman, c'est pas à la virgule ou dans le mot (parfois si) qu'on le sent, c'est sur la longueur, j'ai ça moi, du souffle, je le sais, et je vous emmerde.
Pour les autres, leur dire que des gens comme vous, ce n'est rien, absolument rien, c'est un absolu vide tellement surprenant qu'on n'y croit pas et pourtant je vous assure il y a des gens morts autour de nous qui ne peuvent que s'agripper à vos basques pour sentir, un peu seulement, ce que c'est que de vivre, c'est pour eux une question de survie!
Pour les autres encore, pour leur dire de continuer, d'avancer malgré tout.
Et finalement peut-être pour lui, qu'il trouve sa famille (je me doute bien qu'il y en aura pour trouver ça vraiment bien cette ordure du dessous) et qu'ainsi en groupe recomposé on puisse mieux les reconnaître tous ces zombies, youhou!!!
Votre fureur contre mon roman ne peut s'expliquer que comme ça: j'ai le sentiment qui vous touche là où c'est creux et vous ne supportez plus l'écho que ça provoque, pauvre petit monsieur!
A partir d'aujourd'hui, je refuse pour toujours de parler aux morts, c'est extrêmement dangereux, en dehors du fait que ce soit évidemment complètement idiot (mais bon y'a des morts qui cachent bien leur jeu hein?), parce que ça fait tourner en rond, et moi j'aime pas les idées courbes!
Basta!!!!
Lisez la suite en dessous si vous n'avez pas peur des morts:
Je lui ai donné mon livre à lire alors même que j'avais senti l'appréhension qui me dictait de ne pas le faire, je l'ai fait par intérêt, parce qu'il connait les éditeurs (il vend de la pub aux éditeurs...), on ne sait jamais...j'ai eu tord: il a d'abord envoyé un texto à la 72ème page, "c'est impubliable" disait-il, j'avais ri et surtout pas appelé, il a alors envoyé le mail dont je vous donne lecture ci-dessous....
Estelle,
Je t'ai envoyé un texto qui t'a d'ores et déjà dit, mais sans te le dire avec des argumentations, mes réserves sur ton livre. Que je l'aime ou que je ne l'aime pas, d'ailleurs, ce n'est pas le problème. Le problème est que ton livre, malgré ce qu'en ont pu te dire des amis bienveillants ou des professionnels polis, n'a à peu près aucune chance d'être publié. Je me suis longuement interrogé avant de te dire une chose aussi brutale : c'est très délicat, très embarrassant à expliquer, ça me plonge dans la crainte de ton animosité et ça désigne comme conséquence probable la perte de notre relation. Comme quoi l'on devrait se donner pour règle de ne jamais lire les manuscrits de nos amis !...
Tu n'as pas répondu à mon message et je le comprends : un sms est d'autant plus dur qu'il est bref, et donc qu'il ne laisse nulle place à l'explication. Recevoir ce "Il est impubliable" a dû être comparable à la reception d'une droite dans la figure. J'imagine aussi que tu t'es peut-être dit : c'est qui celui-là pour se permettre de juger ainsi ?
Je t'écris donc ce mail pour expliquer. Ce n'est guère facile et cela va sans doute être long. A l'avance, pardonne moi si, parmi toutes les phrases qui vont suivre, il en est qui te blessent ou te froissent. Te mentir serait certes plus aisé, plus confortable et moins risqué mais tu n'y gagnerais rien. Et surtout, ce serait indigne à l'égard de ce qui est, oui, infiniment respectable : la littérature.
Non, Estelle, on ne s'improvise pas "écrivain". C'est terrible ce que je te dis là, hein ? Je sais, mais pense à Puvis de Chavanne puisque tu sembles tant l'aimer : crois-tu que l'on peut peindre comme lui quand on ignore tout de la peinture ? Non ? Eh bien pourquoi crois-tu alors que l'on puisse écrire un roman quand on ignore tout de la littérature ??? La littérature est un art, et parce qu'elle est un art elle ne supporte ni les amateurs ni les lieux communs. Le poncif est son pire ennemi, ce contre quoi elle se construit, et il y a malheureusement dans ton texte trop de vérités faciles, de banalités, de propos courants. Plus grave : on y trouve une grammaire approximative, une syntaxe défaillante, un vocabulaire qui ne dépasse pas celui de la conversation ordinaire.
Examinons par exemple la première page. Il serait trop long de tout relever mais quelques exemples suffiront, je l'espère, à te montrer combien l'écriture littéraire exige de rigueur et combien cette rigueur, ici, fait hélas défaut.
"L'immeuble de verre (...) projette la chaleur et la lumière emmagasinée par les nombreuses fenêtres condamnées qui font face au soleil." La première phrase souffre déjà d'imprécision : il les "projette" où, l'immeuble, sa chaleur et sa lumière ? Dehors ? Si tu réfléchis bien à ta phrase, on n'en sait rien. Et puis, de toutes les façons, la réverbération sur des parois vitrées peut bien renvoyer de la lumière, en effet, vers l'extérieur, on voit mal en revanche qu'une bâtisse renvoie dans la rue de la "chaleur". Surtout s'il s'agit d'une chaleur "emmagasinée", c'est-à-dire par définition d'une chaleur que ladite bâtisse a retenue à l'intérieur. Tu vas peut-être dire que je pinaille, que je cherche la petite bête, mais n'importe quel éditeur pinaillera de même !
"L'entrée se fait de plus en plus petite..." Ce verbe "faire", formidablement pratique car polysémique dans la langue parlée, est tellement vague qu'il devrait être évité à l'écrit dès qu'il est possible de le remplacer. Ici en outre, par sa forme réflexive (se faire) qui indique une autofaculté de mouvement et par la contamination de l'expression usuelle "se faire petit", il évoque l'image incongrue d'une entrée qui rapetisse d'elle-même ("se") comme si elle avait honte à notre approche. Ce qui n'a pas de sens.
"La réceptionniste (...) me tire un sourire compulsif. Je lui rends, et décide de me présenter" L'adjectif "compulsif", déjà, est malheureux. Ce vieux mot réactualisé par le langage psychologique qualifie fort mal le sourire d'une hôtesse dont on ne comprend pas pourquoi elle aurait, devant Anabelle qui pointe son museau, la moindre "compulsion", c'est-à-dire le moindre emportement névrotique à assouvir un désir ou à conjurer une angoisse. Bref le sourire de l'hôtesse serait mieux qualifié si, plutôt que compulsif, il était insincère, ordinaire, habituel, professionnel, hypocrite ou machinal. Ensuite, elle le "tire", ce sourire. C'est là du langage parlé et, disons-le, assez pauvre, et ce verbe "tirer" donne dès lors à ta phrase un accent trivial qui est assez fâcheux. Enfin, la narratrice "décide de [se] présenter" : pourquoi "décide" ? Quand on a un rendez-vous dans une entreprise et que l'on doit décliner son identité aux hôtesses d'accueil, on ne "décide" pas de se présenter : on y est obligé. Donc on se présente et puis c'est tout.
"L'autre partie de la réception, elles sont donc deux, effleure etc." Cette "autre partie" est très choquante quant à son sens et très maladroite quant à sa forme. Formellement maladroite car elle oblige à cette lourde incise qu'est : "elles sont donc deux". Sémantiquement choquante car elle déshumanise totalement la femme dont il est tout de même question et dont, par parenthèse, on peut essayer de mépriser moins visiblement la fonction. "L'autre hôtesse" n'est pas une "partie de réception", non, ce que pourrait éventuellement être le mobilier de bureau qu'on lui a destiné !
"En mimant les gestes des habitués, un battant a glissé comme par magie" Cette énorme faute de syntaxe revient des dizaines de fois dans ton texte, et là je vais aller au-delà de la première page pour te montrer comment une telle erreur grammaticale trahit ta non domination de la langue écrite (même dans la langue parlée, d'ailleurs, ce serait fautif, mais dans la langue parlée, hein, tout le monde s'en fout !). Rappel : une proposition participe (que le participe soit présent ou passé) mise en apposition en début de phrase doit avoir le même sujet, généralement implicite, que le sujet explicite de la proposition qui suit. Sinon, il y a collision absurde de deux sujets antagonistes sur le verbe conjugué de la seconde proposition. Mais comme le sujet de l'apposition est sous-entendu, c'est le sujet désigné dans la suite de la phrase qui devient logiquement le sujet de l'ensemble. Pardon pour ce galimatias mais, pour être clair, ta phrase précitée signifie que le battant du tourniquet mime les gestes des habitués ! Ce n'est évidemment pas ce que tu as voulu dire, mais c'est bel et bien ce que tu as écrit. Idem pour "En remontant l'escalier, au sortir de la bouche de métro, les vieux immeubles..." (p. 78) : là, ce sont les vieux immeubles qui montent des escaliers. Idem pour "Extrêmement présente dans le sourire et le regard qu'elle me renvoyait, je la sentais tendue à son tour" (p. 82) : là, c'est la narratrice qui, en raison du "je" de la seconde proposition, est "présente" dans le sourire et le regard de son interlocutrice, bref le contraire de ce que tu voulais signifier. Idem pour : "A peine assise depuis cinq minutes, à attendre que l'ordinateur affiche mon courrier électronique, Corinne déboule chez moi..." (p. 89) : là, c'est Corinne qui vient de s'asseoir à ton bureau, regarde tes mails et déboule en même temps !!! Elle est incroyable, Corinne... Il y a cent autres occurrences de cette faute dans tes pages, sans compter celles qui répètent la même confusion syntaxique mais pour d'autres types de propositions. Exemple : "l'air froid qui nous fait frissonner et nous détache l'un de l'autre pour aller chercher d'autres pulls". Remarque, on comprend qu'il aille chercher des pulls, l'air, puisqu'il est froid !...
Pour continuer au-delà de la première page, les maladresses syntaxiques donnent bien des phrases, malheureusement, dont le comique involontaire le dispute parfois à l'absurdité. Ainsi par exemple de Corinne à la cantine, page 51, Corinne dont la "superbe" était alors "avalée par le plateau plastique sur lequel ses longs doigts fins avaient eux-mêmes déposé la choucroute". Tu voulais dire l'assiette de choucroute, non ? Car aussi étrange que soit cette femme, nous l'imaginons difficilement (c'est pourtant ce que tu nous écris) prendre la choucroute avec les doigts et en déposer une part directement sur son "plateau plastique", ce qui a de quoi en effet casser une "superbe". Par ailleurs pourquoi ce "eux-mêmes" pour les doigts ? C'est inutile et ça n'a pas de sens. C'est comme si tu écrivais "ses doigts en personne" !...
A ces défauts grammaticaux s'ajoutent des faiblesses de pensée, des images malheureuses, des assertions saugrenues qui parsèment un style à chaque page décevant. Ici, il faudrait revenir sur des phrases comme : "Il a des pas très sûrs, des chaussures épaisses qui posent ses pieds sur terre à tous les coups". Tu m'accorderas que, épaisses ou fines, il n'y a nulle chaussure au monde qui propulse le pied de son propriétaire au plafond ou dans les nuages, ou alors c'est une chaussure enchantée et dangereuse qu'il faut remplacer au plus vite. En outre, ce ne sont pas les chaussures qui "posent" les pieds à terre : c'est l'homme qui marche. De la même façon, il est étrange de lire que "Claire et moi-même regagnions le sol contre le mur du fond" (p. 68). Pourquoi "regagnions le sol" ? Claire et Anabelle étaient jusque là en plein exercice de lévitation ? Elles étaient accrochées au lustre ? Et page 65, qu'est-ce donc que cette "porte" qui ressent un curieux malaise dans la phrase : "Boum, on vient de frapper à la porte, qui se trouble." ? Une porte qui se trouble ??? Quant aux téléphones, on les sait "mobiles" depuis longtemps mais on les ignorait aussi baladeurs que dans ce passage : "Le téléphone sonne et je le vois passer devant mes jambes étalées" (p. 105). Il est fétichiste du mollet et de la cuisse, le téléphone ? Il se promène souvent comme ça ? Un peu plus loin, nous trouvons un "train" qui "grimpe" (personnellement, je ne monterais pas dedans) et, plus bizarre encore, qui est liquide : "J'avais l'impression d'avoir un train dans le corps. Ca grimpait le long de ma colonne comme un nouveau plaisir à explorer, dont il faudrait profiter jusqu'à la dernière goutte". Du reste, avoir un train qui vous grimpe sur la colonne, je ne suis pas sûr que ce soit un "plaisir" même nouveau... Page 93, nous avons la surprise tout de même très surprenante de tomber nez à nez avec une "foule de quelques personnes". C'est quoi, une "foule de quelques personnes" ? C'est une multitude à trois ou quatre ? C'est le contraire d'une place vide où se presseraient des milliers de passants ?
Ailleurs, nous rencontrons des phrases dont le lexique restreint ou banal, le vocabulaire imprécis, les expressions toutes faites, le langage vulgaire, parfois les incohérences leur interdisent malheureusement d'atteindre au style. Là non plus je ne peux tout relever et, encore une fois, quelques exemples suffiront. Page 9, il est question d'un lieu qui est "au même niveau deux étages en dessous", ce qui est une contradiction dans les termes : si c'est au même niveau (mot qui désigne jusqu'à nouvel ordre un degré de hauteur), ce n'est pas plus bas, et si c'est plus bas ce n'est pas au même niveau. Page suivante, une télé est allumée "mais on [en] a enlevé le son" et ce verbe est ici au pire impropre, au mieux malvenu. L'action de retrait que désigne "enlever" s'applique plus spécialement à quelque chose de matériel, et non pas à quelque chose d'immatériel comme le son. C'est pourquoi on "enlève", oui, un tas de gravats ou bien des amygdales, un journaliste à Bagdad parce qu'il est Occidental, un manteau parce qu'on a trop chaud ou des chaussures parce qu'on a mal aux pieds. Le son, lui, on le "coupe" plutôt, éventuellement on l'"arrête" (encore que...), et de toutes les façons il eût été plus habile de mentionner que cette télé était allumée mais silencieuse. Nous lisons quelques lignes plus loin (p.10 toujours) : "Sylvie que je reconnais (...) Hyppolite Catharatski est juste à côté, ce qui est bien puisqu'il travaille au service informatique". D'abord, tu admettras que la formule "ce qui est bien" n'est guère recherchée. Ensuite, conviens qu'elle est surtout très imprécise : malgré l'apparente causalité ou explication indiquée par le "puisque", on ne voit pas bien, non, en quoi c'est "bien" que, travaillant au service informatique, il soit "à côté", d'autant qu'on ne sait pas à côté de quoi ou de qui. L'ordre maladroit de tes propositions suggère qu'il se trouve à côté de Sylvie, laquelle apparaît en effet dans ta phrase juste avant ton commentaire sur le caractère bénéfique de cette localisation et de cette proximité. Que devons-nous donc comprendre : qu'il est "bien" pour Sylvie d'avoir Hyppolite à portée de main car, très mauvaise en informatique, elle plante son micro toutes les cinq minutes ??? Page 11 : "Aider à préparer l'émission, suivi des personnalités..." : la rigueur syntaxique voudrait que tu emploies la même forme verbale ou substantive (il faut choisir) pour chaque élément de ton énumération, c'est-à-dire : "Aider à préparer l'émission, suivre les personnalités..." ou, si tu préfères, "Aide à la préparation de l'émission, suivi des personnalités...". Page 12, véritable crash stylistique dans les deux phrases : "On a tort de se sentir stupide dans le silence. Ce sentiment pousse à dire des conneries". Cet enchaînement est des plus faibles car il provoque une déception brutale : après une première partie qui semblait ouvrir une méditation sur le silence et sur la gêne qu'il suscite, le lecteur, qui croyait que la suite de sa lecture allait donc l'élever progressivement vers une digression pensive, tombe soudain dans une chausse-trappe au fond de laquelle, en prime, il s'empale sur une vulgarité ("conneries"). Ecrire que nous devrions ne pas craindre le silence, c'est peut-être un peu banal mais ça invite efficacement à une réflexion sur cette crainte, sur les bévues vers lesquelles elle peut nous précipiter, sur la tentation compulsive (oui : compulsive cette fois) qu'elle nous vaut de refermer vite cette béance ouverte soudain dans la parole et dans laquelle la parole a aussitôt disparu, comme abolie, nous laissant affolés dans cette mutité des autres, de nous-même, du monde. D'où cette chausse-trappe dont je parlais et dans laquelle nous entraîne ta seconde phrase : en lieu et place de la méditation à laquelle nous nous croyions invités, nous avons le trou d'un lieu commun doublé d'une grossièreté ! Que nous disions des sottises à vouloir parler trop vite, c'est en effet un poncif. Page 14 : "Il s'était relevé d'un coup d'un seul" : pas besoin, je pense, de longues explications ici. La langue parlée (ce que tu appelles quelque part, à propos du mot "parano", le "langage courant") est truffée de ces renforcements expressifs qui sont aussi inutiles que laids : si c'est "d'un coup", ce n'est pas de deux ni de trois. Page 17, nous voici "dans la presque pénombre", et ce "presque" est fâcheux car la pénombre étant un état intermédiaire entre la lumière et l'ombre (ainsi du clair-obscur), soit on est dedans soit on ne l'est pas, alors que l'on peut être "presque" dans la lumière, oui, ou "presque" dans l'ombre. En d'autres termes il ne peut pas y avoir de "presque pénombre" puisque c'est la pénombre elle-même qui est, tout à la fois, presque la lumière et presque l'ombre. Page 19-20 : "ils étaient soudain Français, blancs, malades, différents, dans un pays aux couleurs, odeurs, traditions et humanité qui leur etc." : encore une fois, une énumération doit référer chacun de ses items à l'antécédent de départ, qui est ici "un pays aux". Comme dans le jeu "chassez l'intrus", il faut donc bannir de ta liste le mot "humanité" puisque, si tu retires les items intermédiaires, ta structure doit rester logique et grammaticalement valide. Or tu ne peux pas écrire "Un pays aux humanité qui leur etc.", ce qui n'est pas français. Il y a donc là une véritable (et énorme) faute. Page 21, nous apprenons que Simon "serait le premier sur la liste, le plus faible est toujours le premier éjecté, c'est inscrit dans la nature humaine". Le problème ici, c'est cette fin de phrase que n'importe quel instituteur aurait entourée de rouge dans une rédaction en la dénonçant comme "généralité". Une généralité néo-darwinienne d'ailleurs très contestable. Là encore, nous sommes devant une pensée poncive trahissant la faiblesse intellectuelle de ton texte. Dans la même page, il y a trois cadres supérieurs "sur l'estrade, assis derrière une longue table rectangulaire surmontée d'un drap blanc". Surmontée ??? Il est où, alors, ce "drap blanc" ? Accroché au mur au-dessus de la table ? Tendu à l'horizontale quelque part entre la table et le plafond ? Non Estelle : la table n'est pas "surmontée" d'un drap blanc ; elle en est plutôt "couverte" ou "recouverte". Page 23, il est question du visage de Corinne, dont nous lisons qu'il "est curieux, ni beau ni laid, il est extrême". Mais c'est quoi, un visage "extrême" ? Ce vocabulaire, ici, n'a pas de sens. Dernier exemple mais il y en aurait mille autres : page 30, à propos de la "grande maison" basque : "J'adore le long couloir du fond, celui qui mène au jardin par une petite porte en bois. C'est mon sas pour aller dans mon coin de jardin, et chacun sait que c'est là mon paradis secret." Je passe sur "j'adore", qui relève une nouvelle fois d'un langage trivial, car "adorer" un couloir, hein, franchement... Dans une conversation, ça ne choquerait personne. Dans un roman, c'est insupportable. Je passe aussi sur la lourdeur répétitive de la construction qui va du couloir menant au jardin au sas menant au jardin !... Je m'arrête en revanche sur la fin de la phrase, dont l'énorme bourde montre à quel point ton écriture est irréfléchie : pardon pour la lapalissade mais, si ce coin de jardin est ton paradis secret, personne ne devrait le savoir. Si en revanche chacun le sait, c'est qu'il n'y a nul secret ici.
Faisons une pause car tu ne dois plus en pouvoir. Que l'exercice auquel je viens de me livrer soit cruel, j'en ai conscience, mais sois consciente à ton tour qu'il n'a rien, absolument rien de méchant. Tu m'as donné ton tapuscrit à lire et, me le donnant, tu as accepté que je m'en fasse non l'hypocrite laudateur mais l'amical, et donc sincère, examinateur. Une telle responsabilité a eu beau m'apeurer un tantinet, je ne pouvais pas reculer devant, car c'eût été sacrifier la franchise à la tranquillité. Pardon pour ces références peut-être déplacées, mais Goethe jeune s'imaginait peintre, Stendhal se voyait en critique de musique ou de peinture, Rousseau se voulait musicien, Flaubert pensait mener le romantisme à son sommet, Queneau s'engageait vers la philosophie. Tous les cinq s'égaraient ainsi dans ce que Goethe, parlant de lui-même, appela une "fausse vocation" après son voyage en Italie. Mais si Goethe eut la force ou la lucidité de comprendre seul combien il suivait une mauvaise route, ce sursaut de la raison requiert parfois le regard extérieur tant l'individu, isolé dans son projet, sa croyance ou son désir, peut nourrir longtemps de petit bois sec le feu de ses illusions. Pour Flaubert, il a fallu qu'il montre à ses amis, si ma mémoire est bonne, sa première version du Saint-Antoine dont il était très fier pour que ses amis lui disent de jeter ça au feu. Bien qu'il ait été piqué au vif, meurtri, c'est tout de même grâce à ce conseil que Gustave devint, avec Madame Bovary, l'inventeur de la modernité romanesque. Quant à Breton et Léo Ferré, t'ai-je déjà raconté l'anecdote ? Breton est né en 1896, Ferré en 1916. Jeune, Ferré est attiré par les surréalistes et fait la connaissance de Breton. Un soir, il donne à lire ses textes (qui deviendront Poètes vos papiers) à cet aîné tant admiré. Le lendemain matin, douche froide : Breton dit à son cadet en poésie que sa poésie ne vaut pas tripette et qu'il doit renoncer, pour faire court, à la littérature. Résultat : Ferré deviendra un grand de la chanson, mais le fût-il devenu si Breton, sincère, ne l'avait pas invité à ne plus s'obstiner dans sa "fausse vocation" ? Désillusionner un ami est un sale boulot, oui, et c'est pourtant un boulot que l'amitié exige si elle est réelle. Tu remarqueras que, tout attaché à la forme, je n'ai rien dit plus haut sur l'histoire de ton roman, son intrigue, la psychologie de ses personnages, etc. Si je n'en ai rien dit, ce n'est pas parce qu'il n'y a rien à en dire, non, au contraire, mais c'est parce que l'épreuve fondamentale de l'écriture est... l'écriture elle-même, donc la forme, et non ce que l'auteur entend nous raconter à travers elle. Malgré tout, on lit toujours les Parnassiens, qui n'avaient rien à dire mais qui le... disaient dans une forme remarquable ; on ne lit plus les milliers de plumitifs qui avaient bel et bien des choses à dire mais qui ne savaient pas les écrire. Voilà pourquoi je ne t'ai causé que syntaxe, vocabulaire, construction, grammaire, lexique ou niveau discursif : le reste n'a pas d'intérêt et ne peut pas en avoir si cette base formelle n'est pas maîtrisée, tout comme le "sujet" d'un tableau n'a pas d'intérêt si le tableau est mal peint, si la palette en est pauvre, si la composition en est à peine digne d'un élève de 6ème en classe de dessin, si le langage pictural n'y est visiblement pas acquis. Un art auquel tous les autres arts devraient revenir parfois pour mesurer leur degré d'excellence, c'est l'architecture. Car enfin n'importe qui peut bien se croire un visionnaire de la cité du futur, ses "visions" n'auront d'autre avenir que l'oubli dans le meilleur des cas, la catastrophe de l'écroulement dans le pire, s'il ignore à peu près tout de la portance d'un matériau, du jeu des forces, des lois de la pesanteur, des rigueurs du calcul. Eh bien, un roman est promis au même écroulement si son auteur ignore à peu près tout des lois de la rhétorique, du jeu des métaphores, de la portance d'une phrase, des rigueurs de la langue !... Et ne crois pas que ce soit à une défense du texte classique que je me livre ici : même le texte moderne ne peut exister que dans la rupture avec la désuétude d'un côté, dans le respect de ce qui fonde tout texte d'un autre côté. L'arche de la Défense ne partage rien avec le Parthénon, sinon qu'ils réfutent tous deux ce qui les précédait tout en visant à la même stabilité, à la même grandeur.
Voilà Estelle : je pense qu'il est inutile de continuer à t'accabler tant la soupe que je te sers aujourd'hui a un goût de poivre pur. Après le texto que je t'ai envoyé, brutal parce que bref, je ne voulais pas te laisser l'idée d'un type qui casse sans argumenter, qui casse par méchanceté, qui casse pour le plaisir. Ce roman, je le sais, t'a demandé beaucoup de temps et, même, a occupé un moment charnière dans ta vie. Il a été tout à la fois un règlement de compte avec une bêtise entrepreneuriale dont tu as été un témoin accablé et la transition entre ton passé dans une "LPG" et un avenir que tu veux différent, renouvelé, un avenir plus propice à ton épanouissement, à l'expression de ta vérité, à ta paix. En ce sens, ce roman a été, je pense, une sorte d'autothérapie dont le bénéfice pour toi ne fait aucun doute, l'occasion d'un recul salvateur, un déversoir par lequel tu t'es débarrassée de l'eau sale dans laquelle il t'avait fallu jusque là surnager. L'écriture comme médication ? Oui, Estelle, oui, mais je crois que cette médication n'avait de pouvoir guérissant que pour toi. Dès lors, pourquoi vouloir la diffuser au travers d'une publication ? A ce propos, je t'avoue m'étonner moins de ta tentative d'être éditée (elle est compréhensible) que des discours qui ont été tenus autour de toi et qui t'ont confortée dans une telle ambition, ceux que tu me rapportais rue de Buci lorsque nous déjeunions et devisions ensemble. Pour ce qui est de tes "amis", je veux bien penser qu'ils étaient aveuglés soit par leur propre méconnaissance de la littérature soit par leur sympathie à ton égard, voire par la confluence des deux qui ne pouvait que te jeter dans l'illusoire promesse d'un estuaire où ton roman eût embarqué sur un cargo à destination de la notoriété. Ils se trompaient et il n'y avait au bout de leurs louanges pas plus d'embarcadère que de navire ; c'est une déception ordinaire pour ceux qui se fient à l'enthousiasme des proches. Pour les professionnels, en revanche, qui t'ont encouragée par leurs demandes de corrections ou par leur apparente ferveur, là vraiment je ne comprends pas. Ou plutôt, en vérité, j'ai peur de trop bien comprendre : trop bien comprendre comment tu as entendu des invitations à poursuivre dans de simples politesses et perçu des approbations dans des embarras.
Ainsi que je te l'écrivais dans mon deuxième texto, j'ai bien peur que tu m'en veuilles "à mort", comme on dit, et que notre brève relation s'arrête là. Sauf que cela n'a pas la moindre importance. Ce qui est important, c'est que tu ne t'égares pas dans une route qui n'est pas la tienne. Tu as passé une année à écrire ce livre, n'en perds pas une deuxième à croire qu'il est bon et à attendre je ne sais quelle reconnaissance qui ne viendra pas. Autrement dit : passe à autre chose ! Il y a tellement de vie en toi que je t'en sais capable, ou alors c'est que tu ferais taire cette vie au nom d'un orgueil dont je ne peux pas croire, Estelle, que tu en sois comme tant d'autres la naïve et vaniteuse victime.
Ton trop dur ami.
Il y a des colères qui libèrent, celle-ci m'a fait du bien ;)
On verra si j'y reviens, mais je préférerais maintenant avancer droit devant...
Rédigé par : Estelle | 06 janvier 2007 à 20:25
C'est dommage, votre fureur immédiate, car parmi sa pinaille, il y a quelques petites choses à conserver sans doute. Y compris sa bonne foi, qui parait probable.
Mais je suppose que si vous donnez ceci à lire, c'est que vous y reviendrez : ce n'est pas seulement pour faire vos lecteurs-trices des témoins-mouines de ce beurk ?
Rédigé par : Yves Duel | 06 janvier 2007 à 18:55