Le Repas puis Nuages Flottants sont les deux premiers films de Mikio Naruse que je vois en l'espace d'une semaine. J'ai vu Le Repas à l'Action Christine, ce cinéma d'art et d'essai parisien bien connu des cinéphiles, et des voisins du quartier Odéon j'imagine aussi. La dame au petit chapeau derrière sa guérite joue souvent à la maîtresse d'école et c'est une grande joie que de pouvoir râler contre son autoritarisme tout en observant scrupuleusement les indications proférées..puis on donne la pièce à l'ouvreuse.
Le Repas se déroule à Osaka, Japon, en 1951, en pleine occupation "pacifiste" américaine. Les premières images sont troublantes: on ne reconnaît le Japon (l'idée que je m'en étais faite) que par le style des habitations, très moderne dirait on aujourd'hui, et par de brèves apparitions de kimonos (ils n'ont d'usage que dans la maison). Les visages, les attitudes, les maquillages, les tenues de ville, la ville elle même, tout est bruissant de vie "à l'américaine", avec des femmes libérées qui se marient et s'ennuient, des femmes célibataires cherchant un homme à la hauteur, des intrigantes, des "concubines", des paumées, et des réunions "tuper ware" trop classiques pour certaines. Et dire que j'imaginais ces femmes (encore aujourd'hui) soumises à l'autorité d'un mâle dont on dit qu'il serait le type parfait du macho.
Le film commence sur des scènes d'ennui d'une femme pourtant mariée par amour. Elle avait eu le courage de s'engager contre l'avis de sa famille, et c'est déjà ça qui annonce l'originalité de l'histoire et du propos général.
Cette femme s'ennui mais obéit par devoir, elle cuisine, elle fait le ménage, elle soupire à peine devant son mari qui ne la voit plus... sa rébellion prochaine s'observe dans de petites choses, comme sa manière plutôt mécanique de servir son époux alors qu'elle use de tendresse pour nourrir son chat.
Son devoir est né de l'amour, elle se courbe parfois surtout par peur du "qu'en dira t on" face à une voisine qui méprise la "concubine" (prostituée!) d'en face, et c'est dans de l'infiniment petit qu'on sent son envie d'une vie plus libre à son tour...
La liberté, ce sera un peu l'arrivée de cette jeune femme, la nièce de son mari, qui débarque un jour chez eux car elle vient de fuguer. Face à celle qui s'est mariée la toute jeune femme jouit d'une vie sans limites. Jeune et jolie, elle est aussi aguicheuse, et l'épouse sera vite piquée par cette rivalité inattendue. La nièce dans ses conversations avec son oncle n'a pourtant qu'une obsession: le mariage, mais avec un homme riche, car dit-elle "l'économie frisson ne va pas avec le mariage.." (joli non?)
Peu de mots serviront à décrire les tourments puis la délicatesse, la grâce, l'intelligence d'une épouse poussée au doute. Peu de mots également pour montrer l'errance d'une jeune femme qui tente maladroitement d'échapper à sa famille comme on tente d'échapper à une société réputée difficile avec ses femmes et qui tombe plus profondément encore dans le piège de l'égoïsme.
L'épouse blessée va partir, elle ira quelques jours chez sa mère (c'est ce qu'on fait toujours non?), dans une famille pas rancunière qui l'accueille à bras ouverts, chez une maman qui la laissera d'abord dormir, réfléchir, redevenir une petite fille, puis qui la poussera de nouveau sur son chemin de femme...Elle aura eu le temps de goûter à la séduction d'une autre ville, d'un autre homme, d'une autre forme de liberté. Le mari (qu'on voit peu finalement) est venu la chercher mais on sent bien (et pourtant c'est encore infiniment petit et avec peu de mots) que l'épouse a repris son chemin aux côtés de son époux en tout liberté, juste en réalisant que c'est là son seul bonheur: celui d'avancer à deux.
Mikio Naruse disait en préambule de son film: "J'aime, à la folie, l'être humain"; j'ai adoré son regard d'une tendresse infinie pour toutes les femmes de son film, au point de me demander comment un homme pouvait à ce point avoir saisi l'âme féminine, en tout cas une sensibilité qui m'est apparue comme une révélation (et pourtant je suis une femme depuis quelques temps déjà!)
Je vous parlerez aussi de Nuages Flottants, un film également magnifique, pardon aux hommes, mais là encore il s'agit d'un portrait de femme, une femme puissante dans le sacrifice qu'elle offre à un homme, comment dire, impuissant...devant tant d'hommage.
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